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Droit du travail

La requalification du CDD en CDI

Comment savoir si votre CDD peut être requalifié ? Quels sont les critères légaux à surveiller et les démarches à entreprendre pour faire valoir vos droits ?

Critères légaux et procédures : défendre vos droits

Le recours aux contrats à durée déterminée (CDD) permet aux employeurs une certaine flexibilité dans l’organisation de leurs effectifs.

Il n’est pas rare cependant que ces contrats soient utilisés en dehors du cadre strictement prévu par la loi, contribuant ainsi à une précarisation illicite du salarié.

Aussi la loi permet-elle de solliciter la requalification de CDD en contrat à durée indéterminée (CDI), dont les implications financières peuvent être significatives.

Mais comment savoir si votre CDD peut être requalifié ? Quels sont les critères légaux à surveiller et les démarches à entreprendre pour faire valoir vos droits ?

Dans cet article, nous examinerons les principaux moyens de requalification d’un CDD en CDI, ainsi que les étapes à suivre pour en formuler la demande devant le Conseil de prud’hommes.

I. Principaux moyens de requalification

  • L’exigence d’un écrit définissant précisément le motif de recours

Aux termes de l’article L.1242-12 du Code du travail, le contrat de travail à durée déterminée doit être établi par écrit.

Il doit mentionner précisément l’un des motifs de recours limitativement énumérés à l’article L.1242- 2 du Code du travail (remplacement d’un salarié, accroissement temporaire d’activité…).

À défaut, la relation contractuelle est susceptible de requalification en CDI.

ILLUSTRATION :

Il est jugé que, « faute de comporter la signature du salarié, le contrat à durée déterminée ne peut être considéré comme ayant été établi par écrit et doit, par suite, être réputé conclu pour une durée indéterminée » (Cour de cassation, Chambre sociale, 24 mai 2023, 22-11.674).

Attention. La requalification n’est toutefois pas encourue dès lors que « le salarié a délibérément refusé de signer le contrat de travail de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse » (Cour de cassation, Chambre sociale, 7 mars 2012, 10-12.091).

  • La limitation des renouvellements

Depuis l’ordonnance dite « MACRON » du 22 septembre 2017, c’est la convention collective ou l’accord de branche étendu qui fixe le nombre maximal de renouvellements possibles (article L.1243-13 du Code du travail).

En l’absence de dispositions conventionnelles applicables, l’article L.1243-13-1 du Code du travail limite à 2 le nombre de renouvellements.

En toutes hypothèses, les conditions du renouvellement doivent être stipulées dans le contrat ou faire l’objet d’un avenant soumis au salarié avant le terme du contrat initial.

ILLUSTRATION :

Il est ainsi jugé que « faute de prévoir les conditions de son renouvellement, [un CDD] ne peut être renouvelé que par la conclusion d’un avenant avant le terme initialement prévu ; qu’à défaut, il devient un contrat à durée indéterminée, dès lors que la relation de travail s’est poursuivie après l’échéance du terme » (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 octobre 2016, 15-17.458).

  • Le respect du délai de carence

Le Code du travail pose le principe selon lequel un délai de carence doit être respecté par l’employeur entre le terme d’un CDD (ou de son dernier renouvellement) et la conclusion d’un autre pour le même poste (article L.1244-3).

Toutefois, à défaut de stipulations conventionnelles contraires, ce principe ne s’applique pas notamment aux CDD conclus pour remplacer un salarié absent.

ILLUSTRATION :

Il est jugé qu’un délai de carence doit être respecté par l’employeur entre 2 CDD dès lors que le premier d’entre eux a été conclu au motif d’un accroissement temporaire d’activité, sans quoi la requalification est encourue (Cour de cassation, Chambre sociale, 10 octobre 2018, 17-18.294).

  • L’interdiction de pourvoir un poste permanent

C’est le moyen le mieux à même de sanctionner un recours trop fréquent à des embauches précaires sur une période prolongée, quand bien même elles seraient conformes aux obligations précédemment évoquées.

Il résulte du principe instauré à l’article L.1242-1 du Code du travail selon lequel un CDD « quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».

Pour apprécier le respect de cette interdiction, le juge se fondera notamment sur la durée totale de la période travaillée ainsi que sur la régularité des embauches durant ladite période.

ILLUSTRATION :

Une salariée ayant occupé le même emploi de manutentionnaire entre 2002 et 2006 puis en 2008 et 2009 dans le cadre de 200 contrats d’intérim a permis de « faire face à un besoin structurel de main d’œuvre » et pourvu un emploi « lié durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise ». Elle est en conséquence fondée à solliciter la requalification de ses multiples embauches en CDI (Cour de cassation, Chambre sociale, 3 juin 2015, 14-17.705).

  • Le cas particulier des CDD d’usage

Dans certains secteurs d’activité tels que le spectacle, l’hôtellerie ou le sport professionnel, et pour des emplois « par nature temporaires » (article L.1242-2, 3° du Code du travail), il est permis de recourir à un type particulier de CDD : le CDD d’usage.

Ainsi, la convention collective des entreprises du secteur privé du spectacle vivant autorise-t-elle expressément l’embauche d’artistes dramatiques dans le cadre de CDD d’usage.

Ces derniers ont l’avantage pour l’employeur de ne pas être soumis aux exigences liées à la limitation des renouvellements et au délai de carence.

Attention, en revanche, puisque demeurent applicables les contraintes relatives à la mention précise du motif de recours et à l’interdiction de pourvoir un poste permanent, toujours susceptibles de causer la requalification en CDI.

ILLUSTRATION :

De 1995 à 2001, la réalisatrice de l’émission « LES MINIKEUMS » avait été embauchée dans le cadre de 85 CDD d’usage.

Elle a obtenu la requalification en CDI de ses embauches multiples au motif que « le recours au contrat de travail à durée déterminée d’usage ne dispense pas l’employeur d’établir un contrat écrit comportant la définition précise de son motif » (Cour de Cassation, Chambre sociale, du 28 novembre 2006, 05-40.775).

II. Vos droits et recours

  • La demande amiable auprès de l’employeur

Avant d’engager un recours contentieux, il est conseillé de formuler une demande amiable auprès de votre employeur. Cette démarche consiste à solliciter une requalification de votre CDD en CDI, en exposant les motifs qui le justifient.

Une négociation bien menée peut éviter une procédure judiciaire longue, tout en permettant d’obtenir une régularisation rapide de votre situation.

  • La saisine du Conseil de prud’hommes

Si la demande amiable échoue, il vous sera nécessaire de saisir le Conseil de prud’hommes pour obtenir la requalification de votre contrat.

Cette saisine peut être effectuée au moyen du formulaire CERFA prévu à cet effet, lequel devra énoncer les faits et arguments juridiques soutenant votre demande.

Elle peut intervenir pendant l’exécution d’un CDD ou après le terme du dernier CDD.

En application de l’article L.1471-1 du Code du travail, la demande de requalification doit être formulée dans un délai de 2 ans, à peine de prescription de l’action.

Attention, puisque le point de départ de ce délai varie selon le moyen sur lequel sera fondée la demande de requalification.

  • Les conséquences d’une requalification

Lorsque la demande de requalification est formulée pendant l’exécution du CDD, la relation de travail se poursuit dans le cadre d’un CDI avec, à la charge de l’employeur, une indemnité de requalification dont le montant ne peut être inférieure à un mois de salaire (article L.1245-2 du Code du travail).

Lorsque la demande est formulée après le terme du ou des CDD litigieux, la rupture de la relation contractuelle produira les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse avec les indemnisations y afférentes, en plus de l’indemnité de requalification.

La requalification de CDD en CDI peut emporter d’autres conséquences financières importantes : elle implique le droit pour le salarié d’obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération (Cour de cassation, Chambre sociale, 6 novembre 2013, n°12-15.953).

Ainsi, le salarié qui s’est par exemple trouvé contraint de demeurer à disposition de son employeur entre chaque embauche précaire est fondé à solliciter des rappels de salaires pour ces périodes dites « interstitielles ». 

  • L’importance de l’accompagnement par un avocat

La requalification d’un ou plusieurs CDD en CDI obéit à des mécanismes juridiques complexes. Elle peut emporter de lourdes conséquences sur votre statut professionnel et vos droits.

C’est pourquoi il est recommandé de consulter un avocat dès les premiers doutes sur la validité de votre CDD. Un conseil juridique personnalisé permettra de mieux évaluer vos chances de succès et de vous assister dans la conduite des procédures, tant amiables que contentieuses, tout en assurant le respect des délais et formalités applicables.